Si la lecture est un passe-temps souvent solitaire... Mais d'abord, il y aurait à discuter du sujet... En effet est-on vraiment seul quand on lit un livre ? Ne sommes-nous pas en compagnie d'un auteur ? En compagnie d'un personnage quand il s'agit d'un roman ? N'a-t-on pas la nette impression d'être connecté (et j'emploie ce mot à dessein) au monde ? Parfois même d'être paisiblement en adéquation avec lui... Si la lecture est une activité solitaire... Et encore, une très bonne amie lit quotidiennement un livre avec l'un de ses amis, ce dernier habitant à des centaines de kilomètres d'elle, et tous deux échangent tout en lisant, à tour de rôle, et commentant, connectés au réseau, cette fois, afin de rendre possible cet échange. Si la lecture pourrait être vue comme solitaire, donc, il n'en est rien pour une troisième raison, puisqu'en dehors du fait de lire même, elle tient les hommes liés entre eux par une intarissable discussion autour d'elle-même et des livres.
Le week-end dernier, j'étais de sortie lors d'un événement annuel, qui a lieu cette année depuis 23 ans : le quai aux livres de Strasbourg. Outre le fait de retrouver les collègues et amis, comme Philippe ou encore Olivier, Pascal, Patrick, et d'autres, je retrouvai avec plaisir les lecteurs et chineurs starsbourgeois, pour la large majorité affables, et souvent, nous donnant un mot de sympathie, voire un mot admiratif en ce qui concerne le choix de notre métier.
Et puis, quand j'arrivai sur place, ou plutôt à quai, samedi matin, je rencontrai Eric. A peine avais-je ouvert la porte latérale de ma camionette qu'il me proposait déjà de m'aider. D'abord sur la réserve, je déclinais son offre, le regardant, assis, devant sa petite table, sans protection contre la pluie, une pile du même livre posée devant lui. Immédiatement, je pensais à un auteur, ce genre d'auteurs autoédités que l'on croise esseulés dans les salons du livre. Il est vrai que j'ai une méfiance de principe avec l'autoédition, puisque l'auteur qui s'édite est souvent celui dont le texte a été refusé dans les maisons d'édition de la région, voire du pays. Mais, en fait, je ne pense pas que ce fut le cas pour le livre d'Eric. Très vite, alors que j'eus installé mon stand, il se présenta et m'offrit un café, il me me parla de son livre.
Eric se présenta comme bibliophile et stewart, dans une compagnie aérienne. Il parcourait le monde et chinait partout des livres. Dans son reccueil, édité "chez l'auteur", il avait eu un vrai souci d'édition. Le livre avait été édité sur grand papier, avec un tirage de tête, comprenant un dessin original de l'artiste Franck Faguier. Les exemplaires avaient été brochés à la main. Bref, il y avait de quoi piquer ma curiosité.
Eric et moi sympathisâmes donc d'emblée, parlant de l'économie aérienne, de livres, de librairies que nous connaissions. Et puis, la pluie se mit à tomber et Eric couvrit son stand d'une mince bâche en plastique transparent. Il vint s'abriter sous mes parasols (certes, dans ce cas, ils font office de parapluie). Nous bûmes encore un café. Puis comme la pluie persistait je proposais à Eric de rapatrier son petit stand sur un coin de table sur mon stand. Poliment, il refusa. Un collègue libraire, écoeuré par la pluie quitta son stand tout en laissant en place son barnum. Eric, qui avait entre temps tenu mon stand pendant une pause de midi, migra donc sous ce barnum pour y vendre quelques-uns de ses livres. Pourtant, il ne pleuvait plus. Il fallait donc qu'il soit abrité pour qu'il ne pleuve plus !
Si la lecture est un passe-temps solitaire, donc, la plupart du temps, sans doute, et même si la compagnie des auteurs et des personnages est une belle compagnie, le livre nous mène à des rencontres et à des paroles. Au soir de ce samedi, pour me remercier de l'avoir abrité, Eric m'offrit l'un de ses livres, qu'il avait dédicacé de son stylo à encre rouge, l'un de ses Cahiers rouges de la Bibliophilie. Rentrant chez moi ce soir-là, j'y jetais un oeil poli pour être finalement emballé par la sincérité et les choix de son auteur. Les Cahiers rouges... c'est une petite anthologie de la citation bibliophilique, un petit livre très bien édité, dans lequel son auteur use des mots d'autres pour dire son amour des livres, et des beaux livres. J'étais aussi agréablement surpris par les choix illustratifs qui accompagnaient ces citations, avec un choix typographique, toujours écrites à l'encre rouge...
Le lendemain dimanche, j'arrivais tôt sur le quai. Eric et moi partions prendre un petit déjeuner dans un salon de thé bien connu des gens du quartier. La nuit, j'avais gardé sa petite table et pris avec moi un sac qu'il m'avait confié afin de ne pas s'emcombrer à son retour chez lui.
Nous étions déjà amis. Il avait suffi de quelques mots, quelques cafés, des paroles de libraires et des mots à propos des livres. Alors que la pluie menaçait, Eric installa sa petite échoppe sur un morceau de table sous mon stand. Bien sûr il ne plut pas ! Mais nous passions un bon moment, entrecoupé de passage de connaissances ou bien de la femme d'Eric et de sa fille Mathilde.
Alors qui a dit que la lecture est un passe-temps solitaire ? Moi ? Lors de salons du livre, souvent, une complicité s'installe entre marchands. Malgré les espaces délimités de location stands, qui posent parfois problème et dont l'attribution est compris dans le folklore de ces événements lors de l'installation, les esprits se détendent ensuite et des connivences se créent. Dimanche soir, alors qu'une pluie d'orage drue s'abattait sur le quai du maire Dietrich, j'allais chercher ma camionette pour remballer et Eric surveillait "notre" stand, si je peux dire. En quelques heures, une collaboration efficace, un échange de bons procédés s'était mis en place.
Sous les parasols nous protégeant de cette pluie d'orage, alors que nous entendions les premières notes de la fête de la musique, Eric remballa ses quelques livres. Il attendait un ami pour passer la soirée. Il m'aida aussi à remballer quelques livres, avant que son ami n'arrive. La pluie se calmait. "Gabriel, dit-il, tu passeras me voir si tu mets un pied à Strasbourg ?" J'acquiesçai. Nous pourrions même exposer ensemble dans l'avenir. Pourquoi pas à Ribauvillé pour les puces du patrimoine au mois de septembre ?
Vous pouvez commander le livre d'Eric Guillemot Les cahiers rouges de la bibliophilie à cette adresse
Vous pourrez suivre les aventures d'Eric sur la page de son site www.ericguillemot.fr, vous y trouverez, outre ses productions, le lien vers le catalogue des livres qu'il met en vente. J'ai d'ores et déjà repéré quelques raretés telle cette superbe édition de dessins de Sempé ou bien de Siné.