Jeudi 9 janvier 2025

Posted By: Gabriel Feret In: Journal d'un libraire On: jeudi, janvier 9, 2025 Hit: 20
J’achève les grands rangements que je m’étais imposé pour la fin de l’année dernière et le début de cette année. J’ai monté deux nouvelles étagères dans les chambres ce qui m’a permis de redistribuer les livres qui dégorgeaient de la bibliothèque du séjour, ceux qui traînaient aussi dans la poussière au pied de mon lit. Je suis ainsi retombé sur quelques livres oubliés, lus il y a longtemps ou acquis depuis que je suis libraire. Que ferai-je d’eux ? Certains ne recèlent que la valeur que je leur accorde, des livres de poche de mon enfance. Chacun me rappelle une période de ma vie, ne serait-ce qu’un court instant, et surgit alors le monde qui vivait autour de ce livre et de sa lecture. Le lieu dans lequel je vivais et les personnes qui m’entouraient, pour la plupart sorties de ma vie. J’habite ces livres plus que les lieux où j’ai résidé, ils sont ma maison, mon Etat, peut-être, et régissent les lois de mon existence. Je sais que la fin viendra quand j’aurai accepté de me séparer d’eux. Le mieux serait de les céder un à un, afin de leur dire adieu, lentement, comme je déclinerai moi aussi, leur trouver un digne successeur à chacun. On met une vie à constituer une bibliothèque et elle s’évapore un jour aux quatre coins du monde, quand un bouquiniste tel que je suis vient embarquer le lot. Car il faut bien comprendre quelque chose : les livres nous survivent, jusque’à ce que, à quelques exceptions près, ils disparaissent à leur tour. J’ai lu ces derniers jours L’année de l’éveil, de Charles Juliet, qui a rejoint ses camarades. Je me souviendrai peut-être, à son évocation  plus tard, de la solitude des fêtes qui en a accompagné la lecture, de sa brutalité se mélangeant à mes insomnies. Puis j’ai ouvert le dernier livre de Frédéric Pajak, que j’ai eu la chance de commencer avant sa sortie, et qui, pour sa part, détient une place de choix. Les livres de Pajak seront peut-être parmi les derniers à partir. Mais je le sais, je pourrais tout aussi bien mourir demain. Un collègue viendrait et embarquerait le tout pour quelques sous. Voilà comment ma vie dans les livres pourrait se finir, en un ou deux voyages en fourgon. Et je n’aurai nécessairement pas assez lu. 
Les ventes se montrent meilleures depuis la fin de l’année. Ma trésorerie est sortie de l’eau, mais elle glisse encore dangereusement à la surface.