Il y a de cela quelques mois, mon ami Thomas Pontillo sympathisa avec un poète sur un célèbre réseau social.
J'avais déjà repris contact avec Thomas via ce réseau, à propos duquel, d'ailleurs, il est de bon ton de déverser un fiel mesuré et d'en signaler par un catalogage bien senti les méfaits et les dangers. Pour ma part, je trouve l'idée de ce réseau formidable, surtout pour des gens comme moi qui passent de nombreuses heures seuls à travailler devant un ordinateur. Quel plaisir de pouvoir rencontrer de nouveaux amis, de discuter avec eux, alors que l'on se trouve chez soi et que ces derniers ont à loisir de répondre quand ils le veulent. En effet, il y a fort à parier que jamais je n'aurais repris contact avec des personnes sans ce réseau avec qui je confirmerai plus tard nos voeux d'amitié, comme avec Thomas, ou bien même des voeux d'amour, comme avec J.
La rencontre avec Patrick se fit donc par amis interposés. Je le vis courageusement répondre à des propos obtus et étriqués, alors qu'il était seul en première ligne et soumis aux pires insultes. Ces dernières se déchaînent volontiers davantage quand la barrière des écrans nous donne l'illusion de la protection, tout en ayant à l'esprit que l'on pourrait faire une sortie et briller en public devant sa tribu. Patrick, chose rare, eut donc le courage de sortir de ses propres réseaux et de venir en parasiter d'autres, sûrs d'une soi-disant subversion, en réalité toute conformiste, puisque s'adressant à un public acquis - en somme quelques personnes toujours enclines à se déchirer, se retrouvant dans le ressentiment, si durement que l'un d'eux, un jour, finit par s'oposer aux standards de cet art de l'insulte par une autre insulte, dirigée contre un semblable ou bien le groupe. Patrick partit donc en modeste lutte contre cette paranoia de circonstance.
Je tentais donc, bien timidement et de manière mesurée, d'appuyer les propos de Patrick, de résister aussi, et nous commençâmes à nous lier, Thomas, lui et moi. Patrick se révéla un érudit en matière de poésie. Il nous conseilla à Thomas et à moi de nombreuses lectures que nous appréciâmes beaucoup, tel Ward de Frédéric Werst (Editions du Seuil) que je découvris par lui.
Patrick épaula également Thomas dans son travail et sa quête poétique. Je n'avais jusqu'à présent connu homme qui eut un tel savoir de la production des poètes de tout temps. Il se justifiait d'ailleurs modestement de la flatterie par la réponse que tel était son métier. Non sans doute simplement son métier, mais sa vie, la faisant se mouvoir de belle manière, heureuse et éclairante.
A mesure de nos discussions, Patrick annonça sa venue en Lorraine. Il voulait visiter les champs de bataille de la Grande Guerre. Thomas et moi le reçûmes dans l'appartement que nous avions occupés tous deux pendant plusieurs mois et qui avait délivré sur nous déjà les bonnes ondes de l'amitié et de la présence de milliers de livres. Notre ami Grégory se joignit à nous un soir. Patrick, pour nous remercier de l'accueil nous prépara un repas typique réunionais et amena trois livres, un pour chacun, dans ses bagages. Je reçus de sa part un livre du poète congolais Gabriel Mwene Okoundji, qu'il avait rencontré quelques jours plus tôt au salon de la Poésie de Paris. Vous pouvez trouver ce livre sur le site de la librairie Decitre : Au matin la Parole.
Nous discutâmes longtemps ce soir de poésie, de politique, des projets de Patrick pour les jours à venir. Ce soir-là, alors que nous dînions sur la terrasse, il nous dit de mémoire un poème de Pessoa, dont il tenta également de se rappeler à sa propre traduction. Le soir tombait et nous sirotions nos verres de vin, les hirondelles de toit rasaient la terrasse...
Ó mar salgado, quanto do teu sal
São lágrimas de Portugal!
Por te cruzarmos, quantas mães choraram,
Quantos filhos em vão rezaram!
Quantas noivas ficaram por casar
Para que fosses nosso, ó mar!
Valeu a pena? Tudo vale a pena
Se a alma não é pequena.
Quem quer passar além do Bojador
Tem que passar além da dor.
Deus ao mar o perigo e o abismo deu,
Mas nele é que espelhou o céu.
Ô mer salée combien de ton sel
Est fait de larme du Portugal !
Nous t’avons traversée: combien de mères ont pleuré,
Combien d’enfants ont prié en vain !
Combien de fiancées n’ont pu se marier
Pour que tu sois nôtre, Ô mer !
Est-ce que ça valait la peine ? tout
Vaut la peine quand l’âme n’est pas petite,
Qui veut aller au-delà du Bojador
Doit aller au-delà des douleurs.
Dieu a donné le péril et l’abîme à la mer,
Mais c’est elle que le ciel se regarde.
Le lendemain, je conduisis Patrick recontrer un ami, qui avait lui-même beaucoup traîné ses guêtres sur les champs de bataille. Patrick lui lut quelques vers de sa production et l'ami C. en fut bien ému, il m'en reparle encore aujourd'hui. Tous deux fixèrent une date de visite pour le lendemain, avec pour objectif incontournable, un détour par la tranchée de Calonne et une visite à la sépulture d'Alain-Fournier.
Patrick consacre sa vie aux lettres, à faire vivre les mots mais ne l'entend sans doute pas sans que cela soit une histoire d'hommes et de femmes, d'amitié et d'échanges. Il passe donc aussi une grande part de sa vie à transmettre et le fit sur tous les continents, à ma connaissance.
Si vous cherchez bien, vous pouvez trouver ses livres, comme par exemple Office du Murmure édité à La Différence. Vous pouvez aussi trouver assez facilement chez tout bon libraire sa traduction des Oeuvres Complètes de Fernando Pessoa, édités à la Bibilothèque de La Pléiade. Si vous cherchez plus en avant, vous pourrez peut-être même le trouver lui, car, pour revenir au propos initial, le fameux réseau nous ouvre à des rencontres, mais, comme le dit Patrick, il est mieux de transformer l'essai et d'un jour se rencontrer vraiment.