Je passe la journée à emballer des colis et à saisir des livres en stock, comme souvent les lundis. Des livres sont partis vers les Etats-Unis, le Canada, le Royaume-Uni. Je viens de m’arrêter, fatigué.
Samedi, je suis arrivé à M à 7h30, comme PM me l’avait demandé. XH se trouvait déjà là, pour son premier déballage sur la place. Je l’ai guidé en voiture pour qu’il puisse y accéder. Avec lui, PM bien sûr, DM aussi, et KZ, pour une fois en retard. XH a monté son stand à côté du mien. Nous n’étions pas pressés, avons pris le temps de boire un café. Les marchés du livre prennent vie tard à notre époque. Les anciens racontent qu’il y a vingt ou trente ans, les marchés commençaient bien avant le lever du jour. Les premiers clients munis de lampes torche balayaient de lumière les coffres des fourgons. On avait déjà fait le chiffre de sa journée avant même d’avoir déballé. Le reste, c’était du bonus. Je connus un peu cette période, en travaillant quelques fois pour P les jours de déballage à N. Il partait de son côté à S et me laissait le stand et la boutique. A, sa compagne, m’aidait parfois. Sur la place, à M, de nos jours, on ne voit personne avant 10h au moins, puis un flux continu jusque vers 13h. Une baisse d’activité s’observe jusque vers 15h30 ou même 16h puis les clients reviennent avant le remballage à 18h. J’ai bien parlé avec XH, heureux de l’accueil qui lui était réservé. Monsieur W est passé, je lui avais mis de côté la Célébration de l’Oeuf édité chez Robert Morel, en échange de trois autres et une revue Art Tribal qu’il ne possédait pas encore. MS est passé aussi, mais nous avons à peine eu le temps d’aborder la question de l’engagement nazi de Martin Heidegger, qu’il réfute ou, tout au moins, qu’il nuance. PM a choisi des livres sur mon stand, des Pléiade de Claude Lévi-Strauss, Fédor Dostoïevski et un livre sur Colmar en échange des livres de Jacques Derrida qu’il m’avait cédés. Des amis de J aussi sont passés aussi, par hasard, m’ont salué et entretenu quelques parlottes de politesse avec moi. Ce temps me parait déjà ancien et je suis heureux de le voir s’éloigner. On a vu les clients habituels, monsieur Astronomie, comme l’appelle PM, à qui j’avais trouvé un livre de sciences, que, miraculeusement il n’avait pas ; la dame souriante et timide qui collectionne les livres sur le tissage et la mode ; les deux ou trois jeunes hommes cherchant la plupart du temps les écrits sulfureux de la droite et de l’extrême-droite du passé ; les quelques originaux de passage, dont cet homme, que je n’avais jamais vu, affirmant transporter dans son sac une statue en platine, qu’il allait vendre pour revenir de ce pas acheter des livres. Il prétendait aussi posséder chez lui une oeuvre originale d’Egon Schiele. L’argent ne comptait pas, pour lui, disait-il, mais l’émotion que dégageait l’oeuvre et qui lui rappelait sa mère. Il affirmait avoir payer ce petit tableau 15 francs à l’époque. L’homme, sympathique et bavard, prenait des livres sur mon stand, commentait la vie de l’auteur, dans des termes vagues, entendus et pleins de tous les poncifs qu’on peut entendre à longueur de marchés. KZ affirmait le matin qu’une manifestation pro-palestinienne devait passer par la place dans l’après-midi, mais nous n’en avons rien vu. Passé 18h, nous nous sommes mis à remballer. Je me suis hâté, aidé par une sourde fatigue. Il faut dire que j’avais trouvé le sommeil à 4h la nuit précédente, le réveil avait sonné à 6. Plutôt reposé ces derniers temps, je n’ai pas trop ressenti la pesanteur du manque de sommeil dans le journée, ce qui ne m’a pas empêché de faire le tour du cadran la nuit suivante. Au fond de la nuit, j’avais terminé le livre de Joann Sfar et commencé le Journal de Moldavie de Marc Crépon. Ce carnet, essentiellement écrit en 1987-1988 est admirablement écrit pour un jeune professeur, certes sorti de l’Ecole Normale Supérieure, mais qui n’a que 25 ans quand il le commence. Les éditions Verdier, ces dernières années, me donnent décidément beaucoup de lectures.