Arrivé en train vendredi soir à P, j’ai passé la journée de samedi au salon de St S. La pluie est tombée tout l’après-midi, l’humidité pénétrait partout, jusqu’aux os, nous laissait transis. P a offert le pique-nique, son amie A, experte en livres anciens et depuis quelques mois au chômage, a apporté une bouteille de vin blanc, je suis allé chercher le café. D’habitude, le salon est agréable, une fête de printemps, joyeuse et conviviale. Ce jour pourtant les poches sont vides et l’ambiance morose. Je repars avec le grand papier d’Absalon ! Absalon ! de W. Faulkner, un tirage spécial d’un petit texte de Michel Foucault chez Fata Morgana, Ceci n’est pas une pipe, l’édition originale de Sens Inverse de Jean Douassot alias Fred Deux aux Lettres Nouvelles de Maurice Nadeau chez Julliard (il s’agit d’un tirage de tête à 20 exemplaires, le premier titre de ce cycle, La Gana, m’avait beaucoup plu) et un joli exemplaire d’Opium de Jean Cocteau, que j’offrirai peut-être à S à l’occasion. Dimanche, nous quittons l’appartement au matin pour rejoindre la cousine CM à A. J’emporterai une dizaine de caisses de livres dont P me délestera le soir. Nous déjeunons avec CM qui nous raconte des épisodes de sa vie, de celle de ses parents. J, son père, a disparu l’automne dernier. C’est la dernière fois que je venais ici chez lui, chez eux. Combien de fois ai-je été invité par G à déjeuner avec eux ? Nous parlions de livres, des dernières lectures, au moment où je ne savais absolument pas ce que serait ma vie. G m’écoutait, me rassurait. J’ai liquidé ses livres en une heure, ceux de J, et les jeunes années, elles, n’en finissent pas de me revenir, comme si j’avais manqué l’essentiel ou que je n’en comprendrais la teneur que maintenant, comment s’est assemblé le tissage de nos liens.
Je me trouve de l’autre côté des montagnes. Par hasard, elle se trouve là aujourd’hui. Je n’y croyais pas, mais elle m’envoie un message en fin d’après-midi. Je la rejoins. Nous bavardons sur un banc de pierre chauffé par le soleil puis dans un café près de la gare, avant qu’elle ne prenne le train. Je ne veux pas la regarder avec trop d’insistance, mais parfois, à la dérobée, je retrouve sa beauté, m’en nourris pour les jours d’absence, et son odeur. Je ne sais pas si je comprends ce qui me tient, troublé, à côté d’elle, et sans doute ai-je manqué l’essentiel. Il a toujours été trop tard, trop tôt et c’est comme la nature de ce que je vis avec elle.