Trois jours de courtes nuits, d’endormissement au petit matin. Un peu trop d’alcool de nouveau, qui annule les lignes des livres, m’en éloigne. J’ai dû mettre le réveil ce matin pour me prémunir de vivre la nuit et de perdre la vie qui m’accroche à l’autre. Mais ce risque est limité aujourd’hui. J’ai conscience que rompre ce lien m’entrainerait dans une spirale folle. M me réveille debout devant moi sur le lit, mais je me rendors. La sonnerie du téléphone me surprend. J’emballe mes colis, pars pour C. Peu de monde dans la librairie de N et A. J’offre à A le livre d’Olivier Rolin, récupère celui de Stéphane Beaud que j’ai commandé, La France des Belhoumi. Je suis fier de dire à A que le sociologue est un cousin. Je lui commande les livres de BG et alors N parlait avec un professeur, ce dernier vient se mêler à la discussion. Il a connu BG. Il a appris sa mort par l’épouse de Jean-Luc Nancy. Il dit tout haut ce que je pense, que des gens meurent. Il ne parle pas de l’époque mais j’ai compris ce qu’il pensait. A et lui parlent aussi de Walter Benjamin et A me parle d’Anne-Sophie Brasme de manière touchante. La librairie la reçoit dans quelques jours. J’apprends qu’elle a grandi à M. Mon petit monde tourne en boucle. J’entretiens N du livre de Juan José Saer, qu’il m’a conseillé. Ces échanges me sortent de la léthargie des trois jours de vie nocturne, du réveil soudain au matin. Entre un homme que je reconnais et qui me salue, mais je ne sais plus quand et où je l’ai connu. Un client ? Je l’observe discrètement, tente de me souvenir. A demande à N dans un murmure discret s’il s’agit bien de JLT. Mais oui, c’est cela, me dis-je, le docteur JLT que j’ai consulté pendant des années. Sa salle d’attente impeccable était pleine de livres d’Art et d’écrivains que j’aimais. JLT a pris sa retraite il y a quelque chose comme trois ou quatre ans. Je ne l’avais pas reconnu, peut-être parce qu’il portait toujours un complet aussi net que sa salle d’attente. Il se trouvait encore parmi les écrivains et leurs livres. Je n’ai pas osé aller lui parler, je ne sais pas pourquoi. C’est étrange parce qu’hier j’ai vu le docteur D, grossier, trop familier, bien qu’il soit entouré par les séminaires de Lacan et certains textes de Henry Ey. Et sous porte vitrée, qu’on ne peut pas atteindre. Je me souviens avoir feuilleté des livres de Pascal Quignard chez le docteur JLT. Les livres étaient accessibles, plus littéraires aussi. Hier, en partant chez le docteur D. je me suis dit que ce serait la dernière fois. Et tiens, je suis passé devant l’ancien cabinet de JLT. Sa plaque était encore accrochée à la grille, comme un vestige. Je ruminais ma fuite du cabinet du docteur D. Peut-être est-ce pour cette raison que je n’adresse pas la parole à JLT. Je le regrette aussitôt sorti de la librairie. Je vais déposer dans la boite d’un client une commande datant du matin même, dans le quartier cossu des maraîcher, un livre de Karl Jaspers. Tant de personnes semblent intéressantes et je les connais pas. Je rentre et pars en balade avec M. Nous montons dans les vignes, au-dessus du château, il se met à pleuvoter. Au retour, je travaille jusque tard, sirotant encore de petits gorgeons. C’est idiot, bien sûr. Un message arrive de l’autre côté des montagnes, des coins d’Anne-Sophie Brasme, de BG, des lieux des débuts, que je n’aurais pas voulu quitter et où je ne voudrais pas revenir. Je pourrais m’inquiéter, mais je m’y abaisse pas. Serait-ce la règle à venir ?
Dimanche, ma cliente MM m’a confié par message la mort de son chat. Elle ne s’en remet pas. Il faudra du temps.