Aussitôt levé, je réponds à des messages puis édite mes commandes, peu nombreuses. J arrive à midi pile avec M, perturbée par des démangeaisons. Je suis heureux de la retrouver. J et moi déjeunons la pitance que j’ai préparée. Elle me parle de son travail, de ses projets, du stage qu’elle donne en ce moment à C, avec des réfugiés. ces derniers ont majoritairement vécu des situations de guerre, des atrocités. J. rit pourtant en m’expliquant un exercice. Elle avait demandé aux participants de raconter un événement de leur vie qui les avait rendus fiers. Un africain sub-saharien racontait au groupe sa fierté d’avoir dirigé un champs de manioc. Il expliquait les différentes fonctions de la plante, mais son collègue afghan n’y comprenait rien : on pouvait manger des maniaques ? J rejoint justement le groupe en début d’après-midi. J’emballe mes colis, passe à la poste, chez le vétérinaire afin de trouver une solution pour calmer M. Je m’aperçois que je suis inquiet pour elle, alors qu’il s’agit très probablement d’une infection parasitaire mal soignée. Toute la journée, je serai attentif à ses gestes, sa faiblesse manifeste. Je redoute de la voir décliner, disparaitre, et ce jour arrivera.
Je travaille ensuite jusqu’au soir, entre une promenade avec M et quelques pages de lecture, un intéressant chapitre sur Jacques Derrida. Pendant cette lecture, me viennent des réflexions sur la sobriété, la manière de l’envisager, de la tenir, une sorte d’architecture qui pourrait se développer à partir d’un choix simple d’une vie différente, non justement une méthode, puisque si j’ai bien compris, Derrida réfutait que la déconstruction soit érigée comme telle. Il semble pourtant qu’il me parle, de très loin, comme si j’avais saisi, malgré moi, une infime portion de sa philosophie en l’intégrant à mon souci. Je n’ai sans doute rien compris, mais d’outre-mémoire, si je peux dire, alors que le propos n’a rien à voir avec la boisson, s’ouvre un champs insoupçonné, pourtant pas vraiment inconnu. Je me vois persister dans mon entreprise de dé-boire. (Pour ce dernier terme, on pourrait aller piocher chez Lacan tout autant).