Mardi 30 avril

Posted By: Gabriel Feret In: Journal d'un libraire On: mercredi, mai 1, 2024 Hit: 91
Le soleil brille lorsque je me réveille. M est couchée de tout son long sur le parquet et profite de ses rayons. J’achève l’envoi de mes colis à la poste et au relais juste avant midi. Après un détour par C, je redescends vers le sud à R pour aller chercher des timbres. M m’accompagne, j’ai décidé de l’emmener en balade. Elle fait la fête à F quand nous arrivons. RC se trouve en Inde en vacances et F n’a pas voulu l’accompagner. Par le passé, elle eut des soucis de santé à l’étranger et préfère rester chez elle désormais. Ce sont ses vacances, dit-elle, quand RC n’est pas là, et elle profite de son absence pour se plaindre de lui, son incompétence en bricolage, sa pingrerie, ses enfants dépensiers, tout y passe. Etre de la sorte pris à témoin me gêne, mais j’apprécie F, son franc parler, sa sensibilité, son honnêteté, je la laisse donc déverser son fiel. Je sais qu’habituellement, RC préférait éviter que je la croise. Quand je pars avec mon enveloppe de timbres, F me suit à pied à côté du fourgon. La vitre ouverte, je lui dis de prendre soin d’elle. Elle me répond qu’elle ne sait pas faire. Au bord des larmes, elle évoque son fils unique, mort d’un accident de moto il y a des années maintenant. « Tu sais, me dit-elle avec son fort accent, je trouve que plus le temps passe, plus c’est dur. » Je roule vers C, où habitent les amis CS, BS et leurs enfants. Il est juste l’heure du goûter quand j’arrive. Les voisins leur ont donné quelques tranches de gâteau à la noisette, dont je profite. Nous sommes assis dans le jardin et bavardons à l’ombre d’un cyprès. M est étendue sous la table à mes pieds. CS retourne dans son bureau, puisqu’il travaille à la maison. Nous continuons d’échanger quelques paroles légères, BS et moi, interrompus parfois par les enfants qui jouent gentiment, et je repars. J’avais contacté MM hier pour récupérer un lot de cartons dans son magasin, afin d’assurer mes envois. MM a la gentillesse de m’en donner régulièrement. Le magasin a déménagé et je me retrouve dans quelques embouteillages. Je passe ensuite au dépôt prélever des cartons de livres, les derniers qu’il reste d’avance. Je fais provision de rouleaux d’adhésif dans un magasin discount. Il n’est pas loin de 19h quand je rentre. Nous allons, M et moi, nous promener dans les rues de R. Sortir en manches courtes, après ces longs mois sombres et humides, est agréable. Au retour, après un repas léger, je me remets à travailler devant l’ordinateur, avec parfois une pensée pour elle, de l’autre côté des montagnes, qui travaille d’arrache-pied, courageusement, pour changer sa vie, et une autre pour la confidence de F, sa touchante émotion. Ces pensées pour deux femmes étrangères l’une pour l’autre, aussi éloignées par l’âge que par leur condition, se trouvent mêlées, et quoique sans rapport direct et pour des raisons différentes, elles me laissent communément un peu de tristesse, de tendresse et d’admiration.