Mercredi 16 octobre

Posted By: Gabriel Feret In: Journal d'un libraire On: mercredi, octobre 16, 2024 Hit: 38

Je pars vers C chez madame O en début d’après-midi. Je rejoins le quartier que j’habitai par le passé, passe par les rues où nous nous promenions avec M et L. La rue de madame O est en travaux, elle me rejoint donc à pied, monte dans le fourgon pour me mener chez elle par des chemins de traverse. Je lui avais déjà acheté des livres l’an passé G dans le nord de la région, mais madame O a déménagé au printemps dans un appartement en ville. La salle de séjour a été transformée en atelier de peintre. Madame O me montre ses livres, les oeuvres de Saint-Simon à la bibliothèque de la Pléiade, des livres pour enfants illustrés par Benjamin Rabier, des exemplaires reliés en cartonnage de la Semaine de Suzette. Nous faisons affaire. Madame O me donne aussi des livres dont elle fut l’illustratrice. Avant de partir, je m’assois devant un verre d’eau sur un guéridon. Madame O me parle de sa solitude, de sa dépression, après la mort de son mari. Elle me parle de ses symptômes, de sa perte de poids, et comme elle invitait sa belle-fille a prendre un thé et, de ce jour « tout fut terminé. » Je lui demande si elle a lié connaissance avec des voisins. Elle raconte que lors de sa pendaison de crémaillère, son fils, magicien professionnel, épata ses voisins en leur jouant des tours, ici, au milieu de son atelier. Mais elle est cernée par les fous, dit-elle : la voisine retraitée du dessus qui s’est entichée d’un acteur américain, le voisin qui a une femme malade qu’elle a vue en parfaite santé, la « harpie », dit-elle, qui a porté plainte contre un voisin qui avait glissé des dessins de phallus dans sa boite aux lettres. Madame O, effectivement très maigre, me raccompagne à la voiture. Elle me remercie d’une voix douce et enveloppante. J’ai un pincement au coeur à la laisser ainsi sur le trottoir. Je ne la reverrai peut-être jamais. Je passe saluer A et N dans leur librairie. Le travail bat son plein en ce mois d’octobre. A leur parler, je me rends à l'évidence de mon état de fatigue. N me conseille un livre de Philippe Forest, mais je pars sans. Je reviens m’allonger à la maison, lis quelques pages du Métier de vivre de Cesare Pavese, que j’avais déjà essayé de lire il y a 25 ans. JMR me l’avait conseillé. « Un titre génial » avait-il dit, et il avait raison. Je m’endors. Je n’ai pas trouvé la ressource de trop travailler aujourd’hui, à part mes deux ou trois colis au matin. un silence spectral a envahi la maison ce soir.