Mercredi 6 mars

Posted By: Gabriel Feret In: Journal d'un libraire On: jeudi, mars 7, 2024 Hit: 61

J’ai eu du mal à trouver le sommeil la nuit dernière, au point que j’ai lu trois livres différents dont la fin du Carnet de Notes de P. Bergounioux, le début de L’ancêtre de Juan José Saer et le petit livre d’Olivier Rolin Joséphine que je voulais relire avant de l’offrir à N et A. Le récit m’a moins touché que par le passé, mais il m’est resté la beauté pudique de cet amour. A l’époque de cette lecture, je n’avais pas internet, mais aujourd’hui, par une recherche, j’ai compris que le F. de l’histoire était  Félix Guattari. Je me lève tard. Monsieur L est déjà arrivé et travaille dans le jardin. Fait rare pour être souligné, je n’ai reçu aucune commande, je réponds donc à des messages et rappelle un numéro inconnu. C’est le nouveau numéro d’ADC. Il m’invite sur le champs à déjeuner. Des averses tombent sur la route, froides comme des giboulées. Le printemps est bien là, jonquilles et forsythias sont en fleurs. ADC prépare une viande en croûte lorsque j’arrive. Je parle avec lui assis devant table de la cuisine, du salon de C auquel il n’a pas participé, de P et d’OB qui sont brouillés. P aimerait récupérer ses parts de librairie, mais OB fait la sourde oreille. Nous dissertons, ADC et moi des dangers pour des amis de devenir associés. Je n’ose pas lui rappeler qu’il m’avait proposé, un temps, de monter ensemble une société. Il se dit pourtant bien comme il est, redevenu employé, sans la pression du chiffre et avec des vacances dont il profite actuellement. Il a préparé pour le dessert une tarte au fromage blanc, que j’engloutis tiède parce que je dois partir. Ses filles chahutent à l’étage, sa femme travaille et dans le vestibule attenant à la cuisine, deux grandes étagères remplies de livres de cuisine, qu’il a acquis pour une somme modique. ADC aime cuisiner et manger, avec un bon copain, il ne veut plus se préoccuper d’amour. A relire Olivier Rolin, à revoir ADC, je me demande moi aussi ce qu’il me reste, à part les livres, qui puissent me faire oublier le métier de vivre, d’après un titre de Cesare Pavese. Quelques souvenirs et quelques rêves, peut-être. Ma vie est pourtant plus douce aujourd’hui qu’elle ne l’a jamais été. Une grande partie de mes jeunes années s’est perdue en peine désespérée et j’ai oublié de vivre mille choses. J’avais trouvé chez ADC une ressemblance au regret. Il les balaye du revers de la main, le regard fuyant, sur le pas de la porte. Pour ma part, je les ai oublié en parlant avec lui, au coin du feu qu’il rechargeait d’une bûche de temps à autre. A mon retour, je charge les déchets verts dans la camionnette avec monsieur L pour les apporter à la déchetterie. Pas le temps, ce jour encore, de passer à la poste. Je travaille ensuite jusque tard dans la soirée.