Je cite ici un extrait d'un livre de William Styron, qui me semble-t-il, n'est guère lu aujourd'hui, Darkness Visible, traduit en français par Maurice Rambaud par Face aux ténèbres . Styron écrivit ce livre fleuve et demeuré connu grâce notamment à son adaptation cinématographie Le choix de Sophie. Doit-on se rappeler qu'à l'époque, on considréait Styron comme un potentiel prix Nobel ? C'est dire la renommée de l'auteur à la fin des années 1980 et aux débuts des années 1990.
Dans ce petit livre, Styron décrit presque médicalement, froidement, son expérince tardive de la dépression. Il la décrit comme une maladie, ne donnant au mal, dans sa description, aucune portée spirituelle, ne décrivant pas le fondement de ses propres angoisses, ou bien ses objets. Il en fait un inventaire chronologique, en décrit les déclenchements, son passage et sa fin. J'avais lu ce livre adolescent et j'avais été marqué par la distance froide qu'accordait Styron à sa propre expérience, comme s'il demeurait en lui encore, au moment de la rédaction, une stupeur terrible voulant faire bonne figure et dissimuler l'enfer, thème et terme qui lui était sans doute cher.
C'est peut-être pourquoi ce petit livre fut considéré comme une bible par nombre de déglingués de la vie que je connus à l'époque. Après tout, cette distance froide a quelque chose à voir avec ce qu'on appelle très généralement dépression dans le langage courant, folie pour les excentriques et mélancolie pour les néo-romantiques c'est selon. Une pudeur, une dissimulation de quelque chose d'inavouable, sans doute, dont on ne se sentirait pas fier, pour aucune raison valable.
Rangrant quelques livres épars, en cherchant un autre, je suis alors tombé sur Face aux Ténèbres dans une caisse. Je me suis permis alors d'y jetter un oeil. Amusé, je trouvais le style plutôt amusant en somme, non le sujet, mais le style d'un homme très écouté, très lu, justement. Ensuite, Styron tisse le noeud de sa dépression dans ses rapports avec des voyages en France et si la France n'est pas objet du mal, elle l'accompagne, elle et son lot de légendes, vu par un auteur américain. Il me semble que cette vue de Camus, de Gary, de Jean Seberg vaut à elle seule de faire un détour par ce livre :
"Camus, me dit Romain, faisait de temps à autre allusion au profond désespoir qui l'habitait et parlait de suicide. Il en parlait parfois en plaisantant, mais la plaisanterie avait un arrière-goût de vin aigre, qui n'allait pas sans perturber Romain. Pourtant il n'avait apparemment jamais attenté à ses jours, aussi n'est-il peut-être nullement fortuit que malgré la constance de la tonalité mélancolique, un sentiment de triomphe de la vie sur la mort soit au cœur du - Mythe de Sisyphe - et de son austère message: en l'absence de tout espoir, nous devons néanmoins continuer à lutter pour survivre, et de fait nous survivons - de justesse."