Lever à 6h pour le marché aux livres de M. Il a plu dans la nuit et le vent du nord-est balaye la plaine. Je pars au soleil levant. Sur la place, PM et KZ sont déjà là, ainsi que N, calligraphe et une bouquiniste du sud du département dont je ne me souviens plus du prénom. La matinée est morose, peu de visiteurs, avec ce vent qui traverse la place d’un bout à l’autre, virevolte en hauteur pour s’engouffrer dans les tonnelles et les parasols. Je dois tenir les miens plusieurs fois, afin qu’ils ne s’envolent pas et entraînent avec eux le stand. MD, l’amie d’enfance, passe vers midi. Elle ne restera que peu de temps, essayant au passage de maintenir à plat les couvertures flottantes des livres. Nous nous reverrons peut-être d’ici quelques jours. Puis c’est MS qui arrive. Il m’entretient de Nietzsche, Blachot, Pierre Bayard, dont il a lu récemment l’essai sur Hamlet. Il en retient que la lecture est elle-même créatrice. Je lui parle des critiques de Nietzsche de Claude Romano et il me semble alors oser, non même m’opposer, mais émettre des réserves devant BG. MS est de la même génération et je vois en lui le même idéalisme trop vieux que celui de BG, peut-être une naïveté, qui ne répond finalement qu’à la mienne et la tristesse de voir ces personnes s’éteindre face à l’époque. MS me parle d’ailleurs de jugements récents auxquels il n’a pu répondre, puisque, dit-il, le dialogue n’était pas possible, le jugement trop définitif pour pouvoir s’ouvrir à un dialogue. Alors nous tombons d’accord pour dire qu’il est difficile d’affirmer catégoriquement quels étaient les positions de Nietzsche, ou d’autres, dit-il, comme Heidegger, mais il croit à l’importance de ce que cette lecture lui raconte et de ce que lui-même peut produire de cette lecture, quel champs elle lui ouvre. Rien d’enfermant comme un jugement. Puis-je lui dire comme le souvenir de BG me raconte des histoires qui n’eurent presque rien à voir avec son cours, mais y sont pourtant liées comme une musique à une génération ? Non, je ne peux pas, isolé, peut-être, comme il l’est. Enfermé, sans doute, aussi. Je paye un café à MS, à PM. Quelques visiteurs surviennent en milieu d’après-midi. Etonnant, je vends un livre de Gilbert Cesbron à une américaine. Le vent est un peu retombé. Nous remballons les stands. En soirée, je rejoins J chez elle, malheureuse, et j’emmène M avec moi.