Samedi dernier, avant une longue journée de marché aux puces à Mulhouse, nous sommes partis à bicyclette pour échouer dans les grands vergers qui jouxtent Colmar, non loin d'Ingersheim. Nous avions amené des livres dans nos sacs et pendant que J. bouquinait la production littéraire d'une ancienne étudiante, je lus quelques pages de La Grande Beune de Michon. Ce livre m'évoquait immanquablement Le grand Meaulnes d'Alain-Fournier, autant par son style classique et mesuré qu'avec les thèmes qui y sont évoqués. Je repensais alors aux paroles de JMR (il avait été un court moment mon professeur de philosophie avant de devenir mon ami) et partait parfois dans des considérations littéraires de fin de soirées alcolisées. ce soir-là, il me dit qu'à la relecture du Grand Meaulnes, il avait été très déçu par ce livre qui l'avait changé alors qu'il avait 18 ans, il estimait que ce livre était en quelque sorte fabriqué pour cet âge et que l'on ne pouvait qu'en ressentir les nuances et les saveurs qu'à ce moment de la vie. En cette fin de soirée, une gitane dans une main, tombant sur sa guitare aphone, une mèche de cheveu lorgnant toujours dans son verre à moitié vide, il soupirait en pensant à ses très jeunes années. Je me dis donc que La grande Beune est probablement de ces livres, fabriqué pour les jeunes esthètes, devenant plus tard nostalgiques de n'avoir pas tenu leurs promesses. Après cette soirée, je m'étais bien sûr précipité dans une librairie pour acheter le livre d'Alain-Fournier. J'avais 18 ans et aujourd'hui, j'ai à peu près l'âge que JMR avait lorsqu'il me parlait durant cette soirée. Je lis La Grande Beune sous un beau soleil de printemps, allongé et heureux à côté de J. Je me demande si Pierre Michon accepterait la filiation avec Alain-Fournier, s'il y a pensé lui-même et si elle est assumée. Quant à moi, je me demande ce qu'il reste de ma filiation d'avec JMR, qui me parait d'un autre temps. Si JMR disait vrai, je me sens un peu étranger au livre de Michon, lui-même d'un autre temps, d'une autre personne, même si je suis enthousiasmé par les talents d'esthètes de l'auteur, ses phrases ciselées et justes, un livre pour jeunes déjà nostalgiques, peut-être...
