La neige abondante illumine la chambre quand j’ouvre le volet. Je prends une rare photo avec mon téléphone. Plus tard, j’appellerai le photographe à qui j’ai laissé mon matériel à P pour le vendre. Je ne veux plus guère tenter d’appréhender un peu mieux la photographie, même si elle m’apprenait à regarder, ce qui m’a toujours fait défaut. Le photographe me propose un dépôt. J’attends J et M en éditant mes commandes et en bricolant. Elles ont pris du retard sur les routes glissantes, mauvaises, assez pour s’être faites peur, me dira J. Nous n’irons pas à C pour déjeuner. J’attends J, partie pour un rendez-vous, en préparant un modeste repas. En mangeant, nous bavardons des mêmes sujets que d’habitude avec plaisir. Au départ de J, je descends préparer mes colis. Il est trop tard pour passer à la poste, les clients attendront un peu plus. Je retrouve M avec joie, elle avait quitté la maison il y a deux semaines exactement. Nous sortons dans le froid vers le pré enneigé. Je sors du sentier pour faire courir M dans la poudreuse trop blanche pour son pelage qui prend une teinte crème, presque grise par contraste. Au retour, j’ai à peine le temps de saisir trois livres avant de partir pour C sans encombre sur des routes dégagées. J’ai pris soin de prendre les livres que je dois déposer à N et A pour un client de S qui viendra les chercher. J’ai aussi pour A un exemplaire publicitaire des Cahiers Dessinés avec un dessin de Frédéric Pajak en couverture, elle en sera ravie. A peine suis-je arrivé que N me présente à Gabriel Gautier, un jeune auteur, venu à la librairie présenter son livre Space, édité chez José Corti. Nous échangeons quelques mots affables. Les lecteurs se pressent dans les allées étroites, entre les étagères, pendant que les libraires préparent un lieu de rencontre. J’avoue que de ma vie de libraire, si j’avais déjà assisté à des séances de dédicace, je crois bien que c’est la première fois que je viens écouter un écrivain parler. La littérature se voulait trop intime, jusqu’à présent, pour que j’en montre mon visage à l’écouter ou à la partager, comme si je m’étais trouvé nu en assemblée, que j’allais choquer ma pudeur et celle des autres. Mais N présente très bien le livre, puis Gabriel Gautier en lit un long extrait, suivi de quelques parlottes intéressantes sur la dualité, le temps, l’espace, l’amitié et sa confiance. Il habite en ce jeune type de la littérature et je m’en trouve heureux, qu’il daigne la partager, que ce petit comité la reçoive, que nous la partagions ensemble. Je repars avec le livre dédicacé, en plus d’autres que j’avais laissés de côté la semaine dernière, avant de partir à P. La fourgonnette fend la nuit noire vers mon petit coin de retraite d’hiver, le même qu’en été, mais dont la nature d’espace se transforme. Il devient une caverne refermée. Je croyais plus jeune que je n’aimais pas l’arrivée de la saison morte. Je me trompais, ne suivais qu’une opinion entendue. L’hiver s’éternisait pour ma grand-mère dans cette maison en hiver, disait-on, elle trouvait le temps long. Finalement, je suis aussi content d’y entrer que d’en sortir, de l’endroit comme des saisons, alors que tous deux se répondent par la mue des formes.
Je saisis encore quelques livres en stock, avant de sortir avec M dans la nuit froide.